Attention !
Tout ce que tu contemples s’imprègne en toi.
C’est drôle, c’est ton visage…
Tu es pourtant celui qui ne l’aperçoit pas.
Crains-tu de reconnaître le scorpion des âges ?
Le sphinx, gardien de l’Héritage ?
Les fleurs de l’aubépine qui nous blesse parfois ?
Écoute, l’heure approche ! Le chien aboie…
Regarde la pierre, elle recèle un tableau
Qu’elle ne révèle qu’à la lumière, si l’eau
De l’averse dessine, pendant l’orage,
Une image, une porte,
On ne saurait dire quoi ! Et qu’importe
Si l’heure est au carnage.
L’indifférence est une cage
Mais réjouissons-nous du sang que l’on boit !
Lavons-nous les mains de l’outrage en accusant la loi…
À laquelle obéissent les sultans, les pantins,
Les vautours dévorant les enfants de demain,
Les grotesques, les clowns de foire, les fanfarons
Qui prennent le soleil pour un char
Et se prennent pour Phaëton !
Ils n’ont rien compris à l’histoire,
Ni celle de Psyché ni celle d’Icare.
Vaut mieux faire un pas dans le noir
Que suivre un troupeau de moutons,
Tristes, en rang vers l’abattoir, le passé au menton ;
Le présent marqué au fer rouge d’un nombre malfaisant,
L’avenir hypothéqué en bourse, amer comme du poison,
Menacé d’être ravalé dans les gorges du Temps !
De crever dans l’œuf, d’avorter, de remettre l’enfant
De la Lune et du Soleil entre les mains du néant…
II
Ma mère… que reste-t-il des promesses du serpent ?
Et de cette mémoire, égarée dans le temps
Où la dernière fois nos doigts se sont touchés
D’une région à l’autre de la Voie Lactée ?
Depuis quand dormons-nous comme des arbres en hiver ?
Notre esprit connaissait la voix de l’Univers
Avant que se referme pour nous séparer
Un grillage de fer aux barreaux enflammés.
Et sept sceaux aux éclats de faux diamants
Vinrent sceller la Voie des étincelles d’argent
Où marchent les enfants de la lune, de la nuit,
Malgré le couvre-feu du sceptre de l’oubli !
Libres nous marcherons dans les montagnes, les plaines !
Libres comme l’âme rebelle du Dragon insoumis,
L’esprit de la rivière qui a vu malgré lui
Des âmes emmurées dans des maisons vilaines,
Des enfants submergés par des larmes de haine ;
Du vrai et du mensonge les éternels affronts ;
Les passions vaporeuses où l’amour se confond.
Et les fantômes en pleurs des arbres abattus,
Les spectres inconsolables auxquels on a vendu
Une Terre de cuir éclairée aux néons –
« Rappelle-toi, mon fils, la Terre est un Dragon !
Et jamais, Ô jamais ! Sur la mer, dans les plaines
Elle ne se soumettra aux idoles romaines
Qui ont forgé aux Hommes un grand rêve de plomb
Où les Femmes, dans l’ivresse, se livraient aux démons
Et enfantaient des monstres, créatures de l’oubli
Qui cherchent le Soleil au milieu de la nuit. »
III
Un Dragon sur la Terre et un dans les étoiles.
Un gardien pour l’éther, un autre pour les voiles.
Dans la Lune une mère dont les millions d’enfants
Sont devenus aveugles, sourds et déments.
Car dans le sanctuaire les cœurs sont déchirés,
L’innocence a été clouée sur une croix ;
Rien de plus profane mais plus rien de sacré
Et la peau de la Terre sert de manteau aux rois !
Dans le placard copulent des amants macchabées
Qui dans l’obscurité s’entredévorent de froid
Et des phares partout, des yeux qui nous surveillent
Pour achever les fées, victimes de la veille
Qui avaient refusé le beau rêve de plomb…
Entendez maintenant les appels du Dragon !
Lui qu’au fond de l’Abysse on avait enchaîné
Avec les vieux lacets de ses propres souliers,
Le gardien de la Terre se relève calmement –
Ce qui secoue la plaine d’horribles tremblements –
Et murmure à ce monde : « Prenez garde. Attention !
Vous ne voulez pas voir la colère d’un Dragon… »
Jordan Cardinal
Extrait de Requiem (Chant V, la Flamme)
Commentaires récents